Par une nuit de novembre, il y a dix ans, Paris a vacillé.
Le rire des terrasses, la musique d’un concert, le souffle joyeux d’une capitale vivante se sont figés dans la fureur des armes. Des hommes, au nom d’un Dieu défiguré, ont semé la mort au Bataclan, sur les boulevards, dans les cafés. Ce soir-là, la France a pleuré, mais elle s’était jurée de ne jamais plier.
Dix ans ont passé. Dix années d’hommages, de discours, de promesses. Dix années où les larmes ont séché, où les bougies se sont éteintes. Et pourtant, une question terrible, lancinante, s’impose : avons-nous vraiment gagné ?
Car si le terrorisme a perdu la guerre des corps, l’islamisme, lui, gagne celle des âmes. Il a su troquer la kalachnikov contre le mot, le sang contre la peur, la terreur contre la culpabilité, pour mieux s’insinuer dans nos failles.
C’est une conquête silencieuse, lente et méthodique, qui ronge nos certitudes ; qui transforme les bourreaux en victimes, les défenseurs de la liberté en suspects ; qui sape la confiance ; qui érode la fierté ; qui nourrit la haine de soi, la honte d’être libre.
Progressivement, nous avons cessé de défendre nos valeurs, de peur d’offenser ceux qui les méprisent. La lâcheté s’est faite vertu, la reddition s’appelle tolérance, et le renoncement, dialogue. À force de confondre respect des croyants et complaisance envers les fanatiques, nous avons tendu au poison le calice dont nous buvons.
Désormais, l’islamisme n’a plus besoin d’attaquer, il attend que nous baissions la garde. Et nous la baissons, chaque jour — par fatigue, par faiblesse, par habitude.
Le fracas des armes a laissé place à une peur douce, insidieuse, celle qui fait taire. Et l’Occident, fatigué, doute. Fatigué de se battre, fatigué de croire, fatigué d’être lui-même. Il s’excuse d’exister, s’accuse d’avoir vécu. Il a perdu la force morale qui faisait sa grandeur — cette conviction tranquille que certaines valeurs – la liberté, l’égalité, la laïcité – valent qu’on s’y tienne.
Mais si, en France, cette guerre est encore sournoise, en Israël, elle est frontale, brutale. Le même obscurantisme y prend là-bas la forme du Hamas, branche palestinienne des Frères musulmans, qui massacre au nom de Dieu, se cache derrière des enfants et rêve d’exterminer les Juifs. Entre Paris et Jérusalem, entre Nice et Sderot, c’est le même combat, la même guerre : celle de la civilisation contre la barbarie.
Le terrorisme islamiste n’est pas une pathologie isolée. Il est la face armée d’un projet mondial visant à soumettre les sociétés libres à la foi et à la loi du fanatisme. Ceux qui refusent de le voir, par confort idéologique, haine de soi ou lâcheté politique, participent à ce renoncement collectif qu’on appelle désormais « la paix ». Mais la paix sans vérité, sans courage, sans justice, n’est qu’une illusion — une accalmie avant l’effondrement.
Il y a dix ans, des balles ont déchiré Paris. Aujourd’hui, c’est le silence qui déchire la France – ce silence coupable, complice, celui de ceux qui savent mais se taisent, qui voient mais ferment les yeux, qui comprennent mais n’osent plus nommer. La République n’a pas été vaincue par la force, mais elle se meurt de faiblesse.
Pourtant, rien n’est perdu. L’histoire de la France est celle d’un peuple qui se relève toujours. Nous avons survécu aux empires, aux tyrans, aux totalitarismes – nous pouvons survivre au mal de ce siècle.
Face à l’islamisme, il ne s’agit plus de dialogue, mais de résistance. Elle doit commencer là où se joue déjà l’avenir du monde libre : au Proche-Orient, avec Israël, avant-poste oriental de notre civilisation judéo-chrétienne plurimillénaire. Le combat de l’État juif contre le Hamas est aussi le nôtre, que nous le voulions ou non. Car la razzia génocidaire du 7 octobre 2023, au-delà d’alimenter les vocations terroristes sur notre sol, nous tend un miroir – celui d’un monde où la civilisation recule devant la barbarie, d’un temps où l’on condamne une démocratie qui ose se battre pour son existence.
Dix ans après, il ne s’agit plus seulement de se souvenir des morts, mais de sauver les vivants. De sauver cette idée de la France qui refuse de plier devant la peur. Parce que la liberté ne se pleure pas, elle se conquiert. Parce que l’honneur ne se commémore pas, il se vit. Parce que, malgré la nuit, malgré les ombres, il nous faut encore choisir de vivre debout.
Gabriel Attal